Waterford, sept ans plus tôt.

« C’est sûr, il va te demander en mariage. Ce soir. » Lança Abby sur le point de défaillir, à sa fille. Abigail Gardiner était le genre de personne qui arrivait à vous redonner le sourire n’importe quand, de par son caractère facile et toujours enthousiaste. Caitlin quant à elle, tirait beaucoup de sa mère bien qu’elle avait toujours tendance à émettre certaines réserves, ne supportant pas se donner de l’espoir pour rien. « Ne dis pas de bêtises. » Répondit la jeune femme, ne pouvant cependant retenir un sourire qui s’épanouit au coin de ses lèvres. Même si elle n’était pas prête à l’avouer à sa mère, Caitlin sentait que cette soirée serait différente des autres. Peut-être ne la demanderait-il pas en mariage, mais elle était certaine que Lawrence avait quelque chose derrière la tête. Elle le connaissait, et vu le ton qu’il avait pris lorsqu’il lui avait donné rendez-vous, elle savait qu’il avait quelque chose à lui dire ou à lui montrer. « Tu me trouves comment ? » Demanda-t-elle à sa mère, qui prit soudainement un air sérieux, examinant minutieusement la tenue de sa fille qui consistait seulement en une robe noire, classe mais sans prétention. Pour parfaire le tout, la jeune femme avait décidé de porter des talons hauts, chose qu'elle ne faisait que très rarement, pour les grandes occasions. Caitlin retint son souffle, comme si sa vie dépendait de l’opinion de sa mère. « Magnifique ! » S’exclama-t-elle soudainement, avant d’ajouter sans pouvoir s’en empêcher : « Ma petite fille va se marier ! » Poussant un cri rageur, Caitlin leva les mains en l’air, signe qu’elle abdiquait. Plantant un rapide baiser sur le joue de sa mère, elle sortit de chez elle en trombe, déjà en retard pour son rendez-vous.



Frigorifiée, Caitlin attendait devant le lac de Faithlegg Forest Walk depuis bientôt deux heures. Lawrence avait pourtant été explicite quant au lieu où ils devaient se retrouver et pourtant, il n’était pas là. La jeune femme, qui commençait à ne plus sentir ses extrémités à cause du froid, tenta à nouveau de joindre son petit-ami. Tombant une nouvelle fois automatiquement sur la messagerie de Lawrence, Caitlin laissa un énième message : « Bon sang Lawrence, si tu me fais une blague, c’est vraiment pas drôle ! J’ai froid, j’ai peur toute seule dans cette forêt, tu le sais très bien. S’il te plait... Rappelle-moi. » Elle raccrocha avant de ranger son portable dans son sac. Restant debout plusieurs minutes, la jeune femme s’assit finalement par terre et remonta ses genoux contre sa poitrine, déterminée à attende Lawrence qui viendrait forcément. Sauf qu’il ne vint jamais la chercher.

Deux heures plus tard.

Un coup de téléphone, et la vie de Caitlin devint un enfer. Bowie, le grand-frère de Lawrence l’avait appelé alors qu’elle attendait toujours son petit-ami à Faihtlegg Forest Walk. Au moment-même où Caitlin avait vu le numéro s’afficher sur l’écran de son téléphone, elle avait compris que quelque chose n’allait pas. C’est fébrile qu’elle avait décroché, et après avoir appris que Lawrence avait pris une balle perdue en ville, elle avait tout bonnement raccroché au nez de Bowie. Elle qui avait toujours râlé car elle n’arrivait pas à marcher avec des talons, n’avait jamais marché aussi vite. Au final, elle était arrivée à l’hôpital une heure trente plus tard, complètement décoiffée, sa robe à moitié déchirée et complètement à bouts de nerfs. La jeune femme arpentait le couloir où on lui avait dit de patienter pour avoir des nouvelles de Lawrence, et commençait à ne plus supporter cette attente interminable. Dans les séries médicales, elle avait appris que tant qu’un médecin ne venait pas voir la famille, c’était que le patient était vivant. Sauf que là, ça ne la rassurait pas vraiment. Tout ce qu’elle voulait, c’était ramener l’homme qu’elle aimait à la maison, lui hurler dessus car il n’était vraiment pas doué pour se prendre une balle perdue, et lui faire une soupe à l’occasion. Voilà ce qu’elle allait faire. Plutôt que de penser à la tragédie de la situation, Caitlin préféra songer à la soupe qu’elle pourrait cuisiner à Lawrence pour son bon rétablissement. Aussi s’assit-elle finalement pour réfléchir à ce sujet, si bien que son esprit y fut occupé jusqu’à ce qu’une silhouette familière s’approchant d’elle l’interrompe dans ses pensées. Relevant la tête et se levant brusquement du siège lorsqu’elle vit qu’il s’agissait de Bowie, Caitlin ne put s’empêcher de constater qu’il avait l’air épuisé et complètement anéanti. « Caitlin… » En voyant la lèvre inférieure du frère de Lawrence qui se mit à trembler, signe qu’il était sur le point de pleurer, Caitlin prit soudainement un air froid et dur. « Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? » Face au silence de Bowie, Caitlin attrapa fermement le bras de l’homme, le secouant pour le faire réagir. « Tu vas parler nom de Dieu ? Comment va Lawrence ? REPONDS ! » « Il est dans le coma. » Lâcha-t-il finalement, avant de reprendre : « Il est dans le coma et il y a de très fortes chances pour qu’il ne se réveille jamais, Caitlin. Lawrence est parti. Il n’est plus avec nous. » Abasourdie, Caitlin relâcha doucement le bras de Bowie et se mit à réfléchir à toute vitesse. « Son cœur bat car il est relié à une machine, les médecins disent que l’on doit réfléchir quant au fait qu’il faille le débrancher, je… » Bowie s’interrompit en croisant le regard de Caitlin, qui n’avait plus rien d’humain. « Personne ne le débranchera. Personne. Il va se réveiller et tout redeviendra comme avant. » Ramassant sa veste qui était posé sur son siège, la jeune femme passa une main dans ses cheveux avant de demander sur un ton cette fois plein d’espoir : « Je peux le voir ? » Bowie considéra Caitlin, l’air de se demander si elle était complètement folle. Elle l’avait pratiquement agressé quelques secondes plus tôt, et maintenant elle semblait en total déni avec la nouvelle qu’elle venait d’encaisser. « Je ne crois pas. Cette nuit tu ne pourras pas le voir. » S’asseyant à nouveau, Caitlin lui adressa un sourire sincère. « Très bien, je vais attendre ici alors. Si jamais il se réveille, préviens-moi dès que possible. » Décontenancé, Bowie adressa un simple signe de tête à Caitlin et repartit d’où il venait. Quant à la jeune femme, elle s’allongea sur plusieurs sièges et se servit de son manteau comme couverture. Elle voulait être présente dès le moment où Lawrence se réveillerait, et était certaine qu’il allait vite revenir à lui.


Waterford, avril 2012.

Assise sur le même siège où elle s’asseyait depuis sept ans, toujours dans le même couloir, Caitlin n’arrivait pas à se résoudre à entrer dans la chambre de Lawrence. Bientôt sept ans qu’elle lui rendait visite trois fois par semaine, sept ans qu’elle se battait pour qu’on garde l’homme qu’elle aimait, branché à des machines qui le maintenaient en vie, sept ans qu’elle vivait avec l’espoir qu’il se réveille un jour, en vain. Et aujourd’hui, Caitlin rendait les armes. Aujourd’hui, Caitlin s’apprêtait à dire enfin adieu à Lawrence.



Se levant finalement de son siège, Caitlin s’avança doucement vers la chambre de Lawrence. Après tant d’années de combat et d’espoir, ça lui semblait totalement absurde d’abandonner maintenant. Mais ses mères avaient raison, il fallait qu’elle continue à vivre. Pourtant, Caitlin resta bloquée devant la porte de la chambre de Lawrence, ne sachant plus quoi faire.



Actionnant finalement la poignée de la porte pour entrer dans la chambre de Lawrence, Caitlin prit une profonde inspiration pour se préparer à ce qu’elle allait lui dire. Sa mère ne le savait pas encore, mais elle avait réussi à la convaincre d’avancer et à ce jour, avancer signifiait rendre les armes et laisser partir l’homme de sa vie. La gorge enrouée, Caitlin prit place sur le siège placé à côté du lit de Lawrence et instinctivement, elle attrapa la main de l’homme pour la placer au creux des siennes. Regardant droit devant elle, ne pouvant se résoudre à poser les yeux sur son petit-ami, la jeune femme fixa résolument le mur devant elle tout en caressant distraitement la main de Lawrence. « Tu m’as laissée. » Commença-t-elle, en guise de simple constatation. « Tu es entré dans ma vie, et tu as tout illuminé. Avec toi, tout a pris sens, comme si j’étais venue au monde uniquement pour te rencontrer. Tu as rendu mon existence exceptionnelle, puis tu es tombé dans le coma. Tu sais, je t’en ai énormément voulu, à un moment donné. Je me suis toujours dit que tu finirais par te réveiller et souvent, il m’est arrivé de pester contre toi car j’étais persuadée que tu n’y mettais pas assez de volonté. J’ai aussi été furieuse contre moi. Furieuse de ne pas avoir été avec toi ce jour-là, furieuse de… » Portant la main de Lawrence à sa bouche pour déposer un baiser au creux de sa paume, Caitlin ferma les yeux quelques secondes pour chasser les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. « Je suis en colère contre tout le monde, Lawrence. Quand je te vois alité comme ça, tu ne peux pas imaginer à quel point j’ai envie de tout casser. J’ai envie de hurler, de demander pourquoi ça nous est arrivé à nous alors qu’on avait tout pour être heureux. Et j’ai même pas eu le temps de te dire au-revoir. Tu m’as laissée toute seule dans un monde qui sans toi, n’a aucun sens pour moi. Et je ne sais absolument pas quoi faire. » Reposant doucement la main de Lawrence sur son lit, la jeune femme n’osa cependant toujours pas le regarder, n’arrivant pas à croire ce qu’elle était sur le point de dire. « Alors je pense qu’il est temps que j’abandonne. Que je te laisse partir, et que j’essaye de vivre. Je ne sais même pas si je vais y arriver, mais… Il faut que j’essaye. » Posant une main sur sa bouche en sentant des sanglots qui lui nouaient la gorge, Caitlin baissa la tête avant de finalement regarder Lawrence qui semblait apaisé. « Je t’en supplie Lawrence, réveille-toi ! » S’exclama-t-elle en désespoir de cause, tout en lui secouant inutilement le bras. Se levant de son siège, la jeune femme se pencha au -dessus du lit de son petit-ami, complètement désespérée. « Je veux pas abandonner alors s’il te plait, réveille-toi ! C’est le moment où jamais. Prouve-moi que je n’ai pas gardé espoir pendant sept ans pour rien ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! » Eclatant finalement en sanglots, Caitlin posa sa tête sur le torse de Lawrence, trempant sa blouse de larmes. Bercée par la respiration mécanique de son petit-ami, elle finit par se calmer bien qu’elle se sentit fiévreuse. Se relevant finalement, elle renifla tout en essuyant ses larmes, avant de se pencher à nouveau pour déposer un dernier baiser sur le front de Lawrence. « Adieu Lawrence. Je t’aime. Je t’aimerai toujours. » Murmura-t-elle au creux de son oreille, ignorant les larmes qui continuaient de rouler sur ses joues. Puis, elle se retourna et sortit. Pour ne plus jamais revenir.

Waterford, 15 septembre 2012.

Vêtue de sa robe de mariée, Caitlin se tenait debout devant le grand miroir de sa chambre. Comme si elle n’arrivait pas à réaliser ce qu’elle était sur le point de faire, la jeune femme passa doucement une main dans ses cheveux maintenant blonds. Le jour où elle avait dit adieu à Lawrence, Caitlin était allée chez le coiffeur pour changer de couleur de cheveux. Ca n’avait pas été un simple caprice mais une nécessité pour Caitlin, car c’était comme si elle avait eu besoin d’enterrer la femme qu’elle avait été précédemment, afin de pouvoir continuer à vivre. La vérité était que ses proches avaient raison. Caitlin Gardiner était morte le jour-même où Lawrence était tombé dans le coma. Et si son deuil avait été aussi long à faire, c’était parce qu’il fallait qu’elle accepte que plus rien ne serait jamais pareil pour elle. Caitlin considérait que dorénavant, sa vie était finie et qu’elle n’avait plus rien à attendre. Alors, elle avait changé de couleur de cheveux, avait accepté la demande en mariage de Connor et était devenu quelqu’un d’autre, tout simplement. Elle n’était pas vraiment malheureuse, mais n’était pas heureuse non plus. Une douce amertume teintait sa vie au quotidien et elle avait fini par s’y faire. « Tu es magnifique. » Regardant dans le miroir le reflet de sa deuxième maman qui venait d’entrer dans sa chambre, Caitlin lui adressa un simple sourire sans joie, avant de reporter son regard sur les détails de sa robe. Sentant qu’Eibhlin se rapprochait d’elle, la jeune femme se tourna pour lui faire face. « Tu n’es pas obligée de faire ça. » Caitlin n’eut pas besoin de demander de quoi elle parlait, puisqu’elle savait qu’elle lui parlait du mariage. En effet, elle n’était pas obligée d’aller jusqu’à l’autel et de dire oui à Connor. Mais sa mère avait tellement fondé d’espoirs en elle, que Caitlin avait au moins envie d’essayer de continuer à vivre. « Je sais. » Répondit-elle simplement dans un sourire résigné. « On y va ? » Demanda-t-elle tout en feignant un air joyeux, qui ne marcha cependant pas sur Eibhlin. Aussi sa deuxième maman ne lui répondit rien et se contenta de la prendre dans ses bras, avant de lui murmurer à l’oreille : « Tu verras, ça finira par s’arranger. » Ne voyant pas tellement comment les choses pourraient aller mieux, Caitlin se dit qu’au moins, rien ne pourrait être pire.

Sauf qu’elle se trompait. Car en sortant de sa maison familiale pour se diriger vers la voiture de sa mère, la jeune femme vit Cecily, la mère de Lawrence, postée juste devant leur voiture. Faisant signe à Eibhlin de rester là où elle était, Caitlin se dirigea vers Cecily qui la regardait toujours avec le même air méprisant. « Je suis venue voir ça de mes propres yeux. Mademoiselle Gardiner se marie. Le blond ne vous va absolument pas, ça vous donne un air encore plus vulgaire. » Déterminée à garder son calme, Catilin garda un semblant de dignité et lui demanda d’un ton ferme et sans appel : « Pourriez-vous vous éloigner de la voiture ? Ce serait dommage que l’on vous écrase. Il faudrait porter la voiture en réparations, voyez-vous. » Tournant le dos à Cecily, la future mariée fit à peine un pas qu’elle l’entendit dire : « De là où il est, j’espère que Lawrence voit comme vous continuez votre vie, et qu’il a enfin compris quelle petite manipulatrice vous êtes. » Ne cherchant pas à en entendre d’avantage, Caitlin fit un mouvement pour se retourner et en même temps, donna un coup de poing au visage de la mère de Lawrence. Cette dernière poussa un cri aigu avant de perdre l’équilibre sur le capot, et Caitlin plaqua son poing contre sa poitrine. Peut-être venait-elle de se casser plusieurs phalanges, mais ça valait largement le coup. « Allez vous faire foutre, madame. » Lança la jeune femme, ouvrant à la volée la portière de la voiture tandis qu’Eibhlin la rejoignait et qu’Abby sortait de la maison, alertée par le cri de Cecily. La main plaquée sur sa pommette droite, la mère de Lawrence lança d’un ton hargneux à Caitlin : « Lawrence sera débranché à la fin de mois, profitez bien de votre nouvelle vie. » Feignant d’ignorer cette dernière réplique, Caitlin s’assit dans le véhicule tandis que son cœur se brisait une nouvelle fois.

Maintenant.
Lawrence s'est réveillé. Après sept longues années de coma, l'amour de jeunesse de la jeune femme s'est enfin décidé à ouvrir les yeux, juste au moment où Caitlin venait de s'installer avec son mari, Connor. Pour celle qui avait définitivement renoncé à une vie avec Lawrence, la nouvelle fut un choc et elle a tant bien que mal tenté de lutter contre la culpabilité qui la rongeait. C'était sans compter sur une nouvelle qui chamboulait tout: elle était enceinte. A bout de nerfs, et après avoir longuement réfléchi, Caitlin a décidé de se faire avorter en France...