« Le monde est si vide si l'on n'y imagine que montagnes, fleuves et villes. Mais d'y savoir quelqu'un avec qui l'on s'entend, avec qui l'on peut vivre en silence, c'est ce qui fait de ce globe un jardin habité. »

Echec numéro 1: Calixte O'Dwyer.

1er Janvier 2004.
Ouvrant lentement les yeux, Casidhe fut d’abord frappée par la couleur du plafond, qui n’était pas la même que la dernière fois qu’elle avait dormi dans sa chambre. Passant une main sur son visage tout en étouffant une sorte de grognement, la jeune femme tourna la tête vers la fenêtre et sentit la panique s’emparer peu à peu d’elle, lorsqu’elle ne reconnut pas non plus les rideaux de sa chambre. Il lui fallut dix secondes supplémentaires pour comprendre qu’elle n’était tout simplement pas chez elle, mais bel et bien dans un hôtel. Tournant lentement la tête de l’autre côté, son regard se posa sur son compagnon de la veille. Il était brun, avait de jolis yeux, de jolis cheveux, et son surnom était CJ. Voilà tout ce qu’elle savait de lui. Elle qui avait toujours dit qu’elle attendrait de trouver le bon garçon pour sa première fois, venait de passer la nuit avec le premier inconnu qui avait croisé son chemin. Ne lâchant pas le jeune homme du regard alors qu’il dormait, elle se mit aussitôt à penser à la réaction qu’auraient ses grands frères s’ils venaient à apprendre que leur petite sœur chérie avait fini la nuit dans un hôtel plutôt miteux dans son genre, en compagnie d’un type âgé de deux ans de plus qu’elle. Cette histoire allait très probablement finir dans un bain de sang et, paniquée, Casidhe se releva brusquement pour chercher du regard ses vêtements, éparpillés aux quatre coins de la pièce. Ne pouvant retenir un sourire en coin tout en se remémorant la nuit passée, la jeune fille se mordit la lèvre inférieure comme pour s’obliger à se sentir coupable. Sauf qu’elle n’y arrivait pas. CJ s’était montré à la fois tendre, passionné, prévenant, et elle n’arrivait pas à éprouver de remords. N’empêche que la panique eut le fin mot dans l’histoire, si bien qu’elle finit par se lever lentement et arpenta la pièce sur la pointe des pieds, par peur de réveiller le jeune inconnu. En vérité, elle n’avait pas envie de l’entendre dire que cette nuit avait été chouette mais qu’il valait mieux en rester là. Casidhe voulait garder une part de mystère et, quitte à se mentir à elle-même, préférait se dire qu’il aurait aimé la revoir. Sauf que la revoir serait impossible, dans la mesure où la jeune fille était certaine que ses frères menaceraient CJ avec le vieux fusil qui traînait dans leur jardin depuis plusieurs années. Pratiquement prête, elle fronça à nouveau les sourcils en se rendant compte qu’il lui manquait une chaussure. Comme si le destin s’acharnait contre elle, ce fut à ce moment précis que son amant d'une nuit bougea dans son sommeil, signe qu’il était sur le point de se réveiller. « Flûte ! » Chuchota-t-elle complètement paniquée, cherchant désespérément du regard sa chaussure disparue. Il fallait dire qu’une fois dans la chambre d’hôtel, CJ et Casidhe s’étaient pratiquement jetés l’un sur l’autre et que, dans le feu de l’action, la jeune fille aurait très bien pu balancer sa chaussure par la fenêtre sans s’en rendre compte. Passant une main dans ses cheveux, les yeux écarquillés par la panique en le voyant s’agiter de plus en plus, elle décida finalement de sortir de la chambre et ce, sans chaussure au pied gauche. Poussant un soupir exaspéré, elle sortit discrètement de l’hôtel et s’élança dans la rue sans accorder d’importance aux gens qui la regardaient d’un drôle d’air. Finalement, plus gênée qu’autre chose quant au fait marcher avec un seul pied chaussé, elle s’arrêta pour s’adosser contre un poteau et retira son unique chaussure, avant de reprendre sa marche, un sourire niais aux lèvres. N’empêche qu’elle était dans un sale pétrin, n’étant pas rentrée la veille. Songeant que ses deux frères n’avaient certainement pas dormi de la nuit et l’attendaient toujours, son sourire s’effaça pour laisser place à une sorte de rictus mauvais. Casidhe accéléra donc le pas, prête à prendre la raclée de sa vie.


Echec numéro 2: Berach Cavanagh.

14 Février 2008.
« CASIDHE ! Sors de cet ordinateur et viens manger s’il te plaît ! » Cria la mère de la jeune femme, depuis le salon. Claquant la langue sur son palais en signe d’exaspération, Casidhe cria en retour : « On est le quatorze février ! » Après un léger blanc, sa mère lui répondit : « Et ? Tu fais grève de la faim le quatorze février ? » Décidément, la mère McEvoy ne comprenait vraiment rien. Tout en branchant sa webcam pour parler avec son petit-ami actuel, elle rétorqua finalement, toujours en criant pour se faire entendre : « C’est la Saint Valentin, et Berach m’a envoyé un message pour me dire qu’il avait quelque chose à m’annoncer ! » Attendant quelques secondes pour écouter la réaction de sa mère qui ne vint finalement pas, la jeune femme s’installa confortablement sur son lit, son ordinateur posé sur ses genoux. Elle n’avait pas la moindre idée de ce que son petit-ami pourrait bien lui annoncer, mais elle était excitée comme une vraie adolescente. A dix-neuf ans, elle vivait toujours chez ses parents, mais il était prévu qu’elle s’installe seule d’ici quelques mois, dans un petit studio, pour être plus proche de sa fac. Peut-être Berach allait-il lui annoncer son retour en ville, et lui demander par la même occasion qu’ils s’installent ensemble ? Trépignant presque sur place lorsqu’elle vit le pseudonyme de son copain s’afficher, signe qu’il venait de se connecter, elle attendit cependant qu’il vienne lui parler d’abord, histoire de se donner un air détaché et de ne pas passer pour la pauvre fille accro –ce qu’elle était pourtant vraisemblablement. « Salut ! » Dit-elle tout en faisant coucou de la main à la webcam, un sourire illuminant son visage. Berach, lui, ne souriait pas vraiment. En fait, il avait même plutôt l’air de faire la gueule. « Ecoute Cass’… Je ne vais pas passer par quatre chemins… Je veux rompre avec toi. » Visiblement, ce qu’il avait à lui annoncer n’était pas son désir de s’installer avec elle. Choquée, Casidhe, se contenta de fixer l’écran de son ordinateur sans rien dire, avant de finir par opiner du chef. « Tu aurais pû choisir un autre jour que la Saint Valentin pour me l’annoncer, tu ne crois pas ? » Lança-t-elle sur la défensive. « Je sais. Mais ce soir j’ai rendez-vous avec une fille, et je ne voulais pas coucher avec elle avant d’avoir définitivement rompu avec toi, alors… » Se retenant de mettre une gifle à son écran pour se donner l’impression de mettre une baffe à Berach, elle prit un air soudainement digne avant de déclarer solennellement : « Sale con. » Et de couper court à la conversation en se déconnectant. Si ses parents lui avaient appris à ne jamais se montrer vulgaire, ses deux frères lui avaient aussi expliqué que lorsqu’un type lui faisait du mal, elle avait le droit de se montrer un tantinet grossière.

Echec numéro 3: Phelan Regan.

10 Juin 2012.
Assise en compagnie de sa mère dans le petit jardin de la maison familiale, Casidhe profitait du soleil sur son visage, la tête penchée en arrière et les yeux fermés. Sinon, la fac, ça se passe bien ? » Relevant doucement la tête avant d’ouvrir les yeux, la jeune femme contempla sa mère quelques secondes, avant de répondre calmement dans un sourire : « J’ai fini la fac en mai, maman. » Aidlinn regarda dans le vague pendant quelques secondes, se demandant probablement comment sa fille avait pu finir ses années à la fac alors qu’il y avait quelques jours seulement, elle y étudiait toujours. Constatant le désarroi de sa mère, Casidhe lui saisit doucement la main avant de la serrer dans la sienne, comme pour la soutenir. Cela faisait bientôt deux ans que l’on avait diagnostiqué la maladie d’Alzheimer chez Aidlinn. La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe sur toute la famille, qui avait mis du temps à s’en remettre. En fait, ils ne s’en n’étaient toujours pas remis et ne s’en remettraient probablement jamais. Chaque membre de la famille avait géré la nouvelle comme il avait pu, et Casidhe avait décidé d’orienter sa thèse de fin de doctorat sur la maladie de sa mère. Elle avait obtenu la meilleure note de toute sa promo, s’en était sortie avec les félicitations du jury, et s’apprêtait à retourner à la fac en septembre, cette fois en tant qu’enseignante. « Allez, viens, on rentre. » Se levant pour donner sa veste à sa mère, la jeune femme lui attrapa le bras pour l’aider à se relever et se dirigea avec elle vers la maison, d’un pas lent.
Une fois arrivée dans le salon avec sa mère, Casidhe lui lâcha finalement le bras, avant de déposer un baiser sur sa joue. « Je dois y aller m’man. Fais attention à toi. » Après avoir échangé un regard entendu avec son père, la jeune femme sortit de la maison le cœur lourd.

Elle s’engagea finalement dans une rue commerçante et déambula quelques secondes, avant que son regard ne soit attiré par la vitrine d’un café. Ses yeux se posèrent sur Phelan, son petit-ami accompagné d’une blonde plutôt mignonne. Rectification. Ses yeux se posèrent sur Phelan, son petit-ami, en train d’embrasser goulument une pétasse blonde. Manquant de laisser tomber son sac à main à cause du choc, Casidhe sentit le sang lui monter aux oreilles et sans hésiter une seconde, elle s’élança vers le café où se trouvait son futur ex petit-ami. Telle une furie, elle claqua la porte de l’établissement et se dirigea à grandes enjambées vers la table de Phelan et d’un geste plutôt gracieux, sortit une chaussure de son sac. Cette chaussure, ce n’était pas n’importe quelle chaussure. C’était une ballerine noire, qui ne lui allait maintenant plus. Elle avait perdu l’autre chaussure après une nuit passée avec un certain CJ et depuis ce jour, elle n’avait jamais pu s’en séparer. Et aujourd’hui, cette chaussure allait lui être d’une grande utilité. « Espèce de salopard ! » Hurla-t-elle juste avant de lui assener un coup de ballerine sur la tête, ne laissant même pas le temps à l’homme de comprendre ce qui lui tombait dessus. Poussant un cri de douleur, Phelan se leva brusquement de sa chaise, l’air hagard. « Casidhe, qu’est-ce que tu fous là ? » Penchant la tête sur le côté, la jeune femme fronça les sourcils, hésitant entre lui donner encore un coup de chaussure ou se moquer de lui. Finalement, elle opta pour lui donner un second coup de chaussure avant de hurler : « Ce que je fous là ? Et toi, tu fais quoi, hein ? Depuis quand est-ce que tu me trompes ? Ca t’excite d’aller voir ailleurs ? Si tu voulais que je me mette une perruque blonde, tu n’avais qu’à me le dire ! » Ponctuant chacune de ses questions d'un coup de chaussure, elle fut interrompue par le gérant du café qui s’était avancé vers elle et qui l’avait maintenant encerclée de ses bras. « Allez ma petite dame, sortez maintenant. Je n’ai pas envie d’appeler la police. » Se dégageant des bras de l’homme, Casidhe dévisagea Phelan d’un air dégoûté. « Je ne veux plus jamais te voir. Jamais. » Rangeant sa chaussure dans son sac tout en tentant de garder un semblant de dignité, elle tourna finalement les talons et sortit de l’établissement, les yeux baignés de larmes.


Echec numéro 4: Leary Butler.

31 août 2012.
A moitié réveillée, Casidhe tendit le bras pour atteindre Leary, avec qui elle avait enfin passé une nuit. Cela faisait un mois qu’il lui tournait autour, un mois qu’elle le laissait mariner. D’une certaine manière, elle avait cherché à le tester et, voyant qu’il s’était accroché à elle, Casidhe avait fini par se dire qu’après tout, il était peut-être sérieux. Les yeux toujours fermés, elle fronça les sourcils lorsque son bras tomba mollement sur le matelas et non pas sur le corps de son amant de la nuit dernière. Ouvrant finalement les yeux, elle comprit qu’elle venait de se réveiller seule, comme chaque matin depuis deux mois déjà. N’osant pas croire que Leary était tout simplement parti, la jeune femme se leva de son lit tout en s’enroulant dans sa couette, laissant seulement son visage à l’air libre. D’un pas mal assuré, elle se dirigea vers son salon où, sur sa table basse, était posé un post-it sur lequel Leary avait vraisemblablement écrit quelque chose.

Citation :

J’ai pris les 20 euros qui traînaient sur ta table pour payer mon taxi.
Leary.

Haussant les sourcils tout en ouvrant la bouche de stupeur, la jeune femme réalisa que non seulement, elle venait de se faire rouler dans la farine par un homme qu’elle croyait sincère mais qu’en plus, il venait de lui taxer vingt euros. « Non, mais je rêve… » Ou plutôt, il s’agissait là d’un cauchemar éveillé. Toutes ses relations sentimentales foiraient dans les grandes largeurs depuis qu’elle avait seize ans. Comme si le fait d’avoir couché avec ce CJ avant de partir en catimini lui avait porté la poisse. Son regard se posa sur la ballerine noire, posée sur une étagère dans son salon. Finalement, au bout de quelques secondes, elle se leva machinalement pour s’habiller et sortit de son appartement, sans but précis. Elle tomba finalement dans une ruelle qu’elle ne connaissait pas vraiment et, à bout de forces, déboussolée par ce nouvel échec, appuya son dos contre un mur. Tournant légèrement la tête, son regard se posa sur un visage qu’elle ne connaissait que trop bien, ne l’ayant jamais oublié. CJ se tenait devant elle, à quelques mètres seulement. Et pour la première fois depuis neuf ans, les battements de son cœur s’accélérèrent.


Maintenant.

Le destin se jouait de Casidhe McEvoy. Après tant d’années, elle était de nouveau sur la case départ, à fréquenter CJ. Il avait été sa première fois, celui qu’elle n’avait jamais pu oublier, le seul homme qui avait été réellement gentil avec elle, même si ça avait seulement été le temps d’une nuit. Pourtant, ils étaient en train de vivre la relation la plus destructrice que la jeune femme n’ait jamais vécu. Ils avaient à nouveau passé une nuit ensemble et, à nouveau elle était partie au petit matin. Sauf que neuf ans plus tôt, la drogue ne s’était pas immiscée entre eux. Aujourd’hui, la jeune femme se surprend même à arpenter chaque soir cette même ruelle où elle a croisé CJ quelques jours plus tôt. En vérité, elle ne sait absolument pas où tout ça va la mener. L’amour, elle n’y croit plus. Elle a assez donné. Tout ce qu’elle veut, c’est retrouver cette sensation de liberté et d’interdit à la fois, c’est retrouver CJ. Tout ce qu'elle veut, c’est vivre.