C’est samedi et il est 18 heures. Comme une fois par mois, la famille McAwley se retrouve autour d’un repas pour se donner des nouvelles, ne pas se perdre de vue et bien qu’il s’agisse d’une famille avec peu de moyens à la base, ils organisent toujours un grand repas auquel tout le monde participe. Les enfants plus que les parents, puisqu’ils ont tous des emplois bien payés. Eann, âgé de 35 ans, est gérant d’un restaurant, Cian, âgé de 32 ans, d’une entreprise et la petite dernière qui a 30 ans est une journaliste qui s’occupe des critiques de restaurants, préférant goûter aux plats, mettre les pieds sous la table que de ressentir la pression du travail en tant que cuisinière, mais ça ne l’empêche pas d’adorer ça. Ils sont tous très proches, peut-être Eann et Alois un peu plus étant donné leur passion commune qu’est la cuisine, la gastronomie et aiment partager ça ensemble. Lorsqu’ils organisent des soirées comme celle-ci, ils se battent toujours pour être celui ou celle qui fera le repas, pour finalement arriver sur un terrain d’entente et le faire à deux en se disant quelques conseils, quelques astuces qu’ils prennent très souvent en compte. « Eann, mon chéri, tu veux bien m’aider à faire la vaisselle s’il te plait ? » Demande sa mère, poliment, alors qu’il ne se fait pas prier pour se lever de son fauteuil et venir l’aider à la cuisine, prenant la place près de l’évier pendant qu’elle essuie les assiettes. « Tu restes manger ce soir ? » Un sourire à son adresse et un refus d’un signe de la tête. « Non, il faut que je passe à l’hôpital pour voir Ethel. » L’air de sa mère devient d’un coup plus triste et il comprend pourquoi. C’est une femme généreuse, sensible et qui en a longtemps bavé dans la vie, surtout à cause de l’alcoolisme de son mari qui ne s’est pas arrangé avec le temps. « Quand est-ce qu’elle sort dis-moi ? » Un haussement d’épaules et l’homme continue de laver les assiettes, les couverts, sentant son cœur se resserrer rien qu’en pensant à Ethel, sa fille, actuellement dans un lit d’hôpital à cause d’une tumeur au cerveau. Ce jour où on lui a diagnostiqué la chose a été le commencement de la fin pour lui, pour son mariage.

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Flash Back

12 juin 2011.

« Eann ! » S’exclame Cian, son frère qui prend place dans le restaurant. Il s’approche du comptoir, pose ses mains à plat sur celui-ci et d’un air enjoué, prend la parole : « J’espère que je ne te dérange pas. » « Bonjour Cian ! » Répond Eann, pour commencer, en se chargeant des paiements. C’est l’heure du dîner et il y a énormément de monde et donc de travail, mais Cian n’a pas l’air de le comprendre, puisqu’il insiste auprès de lui : « Eann, il faut vraiment que tu m’aides. » « Ca ne peut pas attendre un peu ? » Répond-il, du tac-au-tac, adressant à un sourire à une cliente, lui souhaitant une bonne fin de soirée ensuite. « Non, il faut que tu m’aides. C’est à propos de Siobhàn. » Ce prénom, Eann l’a entendu de nombreuses fois sans avoir pu poser un visage sur la jeune femme en question. Il se souvient le jour où son frère est venu le voir pour lui demander de l’aide, des conseils de séduction, parce qu’il avait vraiment envie de lui plaire et au final, c’est Eann qui a fait tout le travail en conversant avec elle par Internet, se faisant passer pour le principal intéressé. « Tu veux un conseil ? Comporte-toi naturellement, porte-lui de l’attention, c’est ce dont elle a besoin. Une femme a toujours besoin d’attention, peu importe qu’elle se montre forte face à toi. Ca fait beaucoup de bien, c’est flatteur et elle en sera ravie. » Les paiements achevés, il attrape une assiette qui arrive pour faire le service, aidant son personnel à aller plus vite et prend commande d’une boisson. Lorsqu’il revient au comptoir, il pose son plateau dessus et se penche vers l’intérieur afin d’attraper un verre et un jus d’ananas. « Qu’elle soit aveugle ne doit rien changer pour toi. Peut-être un peu, oui, dans tes habitudes. C’est justement le moment où elle a le plus besoin de toi et où tu devrais redoubler d’autant plus d’attention, comme je viens de te le dire. Elle a besoin d’être soutenue. C’est une épreuve difficile pour elle. Mets-toi à sa place. Comment tu le prendrais si tu ne voyais plus ton entourage et tout ce que tu as autour de toi du jour au lendemain ? » Silence. Cian baisse la tête, tentant de s’imaginer la chose, puis repose son attention sur son Eann qui a sa main sur son épaule. « Mon mariage ne tient plus qu’à un fil et je ne suis peut-être pas la personne la plus adéquate pour te conseiller, mais crois-moi et laisse tes appréhensions de côté concernant son handicap. Il faut que j’y aille, j’ai beaucoup de travail. On en reparlera. » Dit-il, pour finir, en reprenant son service, alors que Cian reste à boire un verre, réfléchissant à ses propos, pour finalement s’en aller, sans être plus serein ; si Eann est capable de ne pas donner d’importance à la cécité d’une personne, Cian en est incapable et c’est d’autant plus dur puisqu’il s’agit de la femme avec qui il partage sa vie.

Après quelques heures à servir, faire les comptes, Eann arrive enfin chez lui à minuit, rentrant chez lui avec discrétion pour ne pas réveiller sa femme, mais contre toute attente, celle-ci a encore les yeux bien ouverts. Assise sur le canapé, avec un thé à la main, elle attend de longues secondes avant de rompre le silence : « Je souhaite qu’on divorce. » Le cœur lourd, serré, il relève la tête et laisse tomber sa sacoche au pied de la table, s’approchant du canapé où il finit par s’installer auprès d’elle. « Tu ne penses pas ce que tu dis. On va s’en sortir, Ethel aussi. » « Eann… Tu n’as pas compris, je… Je veux qu’on divorce. Ca devient trop dur et… » Coupée par les gestes de son mari qui place sa main sur son visage, colle son front contre le sien, Kerry ne dit plus un mot de plus, se sentant mal à l’aise. C’est vrai, elle a aimé cet homme, mais à présent, tout est différent. « J’ai besoin de toi. » « Je peux plus. Tout est mort entre nous, tu le sais, arrête de te faire des illusions. Depuis le jour où Ethel est entrée à l’hôpital, tout a changé. » « Pour toi. » La jeune femme acquiesce, consciente qu’elle parle plus d’elle que de lui. Kerry se lève, fait quelques pas dans la pièce afin de couper le contact et surtout d’être dos à lui. « J’ai rencontré quelqu’un d’autre. Ca fait quelques mois, maintenant, qu’on se côtoie. » C’est comme un coup de poignard en plein cœur qu’il ressent. Eann se lève, la regarde dans les yeux, sentant qu’il est en droit de le faire contrairement à elle. « C’est qui ? Je le connais ? Quelques mois, c’est combien ? » « Six… » Murmure-t-elle, un peu honteuse de lui avoir fait un coup pareil. « Je ne pense pas que ce soit très judicieux de te dire son nom. » « C’est Laurence ? » Demande-t-il, sans avoir peur de se montrer insistant. « Oui, c’est Laurence, bien sûr. » Ou son meilleur ami qui passe toujours par là, même quand il n’est pas présent. Ce n’est pas Eann qu’il venait voir, mais sa femme. L’homme n’attend pas la réponse, attrape son manteau et disparaît en claquant la porte.

Suite à ça, il s’est directement rendu chez son meilleur ami pour se comporter de la manière la plus impulsive qu’il soit et lui mettre son poing dans la figure. Eann leur faisait confiance et ils l’ont trahi.

On dit que l’amour dure trois ans uniquement, que la passion s’évapore, que les regards changent et pourtant, celui d’Eann est resté exactement le même jusqu’à ce jour. Il a certainement aimé Kerry plus qu’elle ne l’aimera jamais. Eann a toujours donné énormément pour cette relation. Il a fait des pieds et des mains, alors qu’elle ne pensait qu’à elle, qu’elle ne donnait jamais assez. On dit que l’amour rend aveugle, que l’amour rend con. Oh oui, ça il le sait maintenant.

« Elle ne sortira pas pour le moment, mais tu sais que tu peux venir la voir. » Lui dit-il, afin de la rassurer, déposant un baiser sur son front pour la réconforter, alors qu’à l’instant, c’est d’autant plus difficile pour lui qu’est le père, mais c’est avant tout un homme et il sait Ô combien les femmes ont besoin de s’appuyer sur eux. Au fond, ça lui a toujours plu. Il aimait savoir les femmes dépendantes et aurait d’ailleurs aimé que son ex-femme le soit plus, mais Kerry était quelqu’un de très indépendant et qui avait de grosses difficultés à communiquer avec lui. Un problème mettait des mois avant d’arriver à ses oreilles, alors que lui disait tout au fur et à mesure.

Quelques minutes plus tard et Eann jette un coup d’œil à sa montre qui affiche l’heure de partir. Attrapant son manteau, il se fait toper par Cian, son frère et Alois qui sont là pour deux raisons différentes : « Tu penses à moi, hein ? Enfin, à Sio ! Elle n’a toujours pas eu de nouvelles de votre entretien, ça commence à être inquiétant. » « Hm hm. » S’il se montre aussi peu convaincant, c’est que lors du rendez-vous, ça s’était passé assez bizarrement, mais il ne peut se permettre de lui en toucher deux mots. Cian ne comprendrait sans doute pas. « Oh, Cian, t’exagères ! Tu lui parles d’un job alors qu’il va voir Ethel, bon sang. » Lâche-t-elle, en attrapant à son tour son manteau qu’elle met sur elle. « Je t’accompagne, allez, on y va. » S’il y a bien quelqu’un qui est très proche de sa fille, c’est bien Alois qui passe tous les jours la voir pour lui faire un petit coucou, discuter avec elle et parfois même lui offrir quelques jeux, ce que Cian ne ferait jamais, bien trop penché sur lui-même que sur les autres. Preuve est qu’il ne rend jamais les services qu’on lui rend.

Eann salue la famille et s’engouffre dans sa voiture avec Alois à ses côtés, prenant directement la route pour se rendre à l’hôpital. Avec les abeilles qui circulent en ce moment, il n’a d’autres choix que de faire tout un détour pour arriver à destination et il entend déjà les réprimandes de Kerry qui ne supporte pas qu’il soit en retard. « Tu as été à l’adresse que je t’ai donnée ? » Demande sa frangine, en parlant d’une association anonyme pour les alcooliques. Alois est l’une des rares personnes à savoir ses soucis d’alcool, parce qu’il se montre assez discret sur la chose, mais surtout parce qu’elle l’a pris en flagrant délit le jour de sa séparation.

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Flash back

12 juin 2011.

La première goutte depuis son adolescence. Eann a toujours eu des problèmes d’alcool, de ses 15 à 20 ans, juste avant de connaître Kerry qui l’a sorti de tout ça. Elle l’avait aidé, soutenu, alors qu’il rechutait à chaque fois que sa mère finissait en pleurs, que son père passait des soirées entières dans le bar en face de chez eux, se faisant une réputation dégradante. Pendant cinq ans, il a pris le même chemin pour oublier, mais ça ne servait à rien. L’alcool déliait sa langue, le détendait aussi, ce pourquoi il recommençait, devenant dépendant de cette chose liquide et destructrice. Et là, le 12 juin 2011, il craque enfin devant un verre d’alcool et il n’en est pas à son premier. En face de lui se trouve plusieurs verres déjà vides. La bouche entrouverte, Alois prend place dans le restaurant, inquiète au sujet de son frère qui l’a appelé en pleine nuit, à deux heures du matin, pour lui dire à quel point il était heureux de l’avoir dans sa vie, qu’elle lui était nécessaire et d’un grand soutien avant de raccrocher. Alois a compris immédiatement et a pris la route pour être là.

Avec douceur, elle pose une main sur son épaule, l’autre sur le verre qu’elle éloigne de lui, avant de prendre son visage entre ses mains. « Kerry demande le divorce. » Si c’est un véritable choc pour Eann, ça ne l’est pas pour Alois. De toute façon, elle n’a jamais apprécié Kerry, la trouvant trop superficielle, matérialiste à son goût. « Et ce n’est pas tout. Elle me trompe avec Laurence. Pense bien qu’il a eu droit à mon poing en pleine figure. » Lâche-t-il, en buvant cul sec son verre qu’il repose sur le bar. « Pense à Ethel, Eann. Pense à ta fille. Tu ne peux pas t’enfoncer dans l’alcool à nouveau alors que tu as ta fille. Elle a besoin de toi. » « Kerry veut la garde entière. » Et c’est probablement ce qui l’inquiète le plus. Il ne supporterait pas de ne plus voir sa fille, que lorsque Kerry le décidera. « Ecoute Eann, ta femme est une garce, je te l’ai toujours dit. Je ne me suis jamais cachée de ce que je pensais d’elle. Elle veut la garde ? Très bien, mais toi tu ne vas pas te laisser faire et ce n’est pas en buvant que tu vas obtenir gain de cause. Alors stop ! » Et c’est ce qu’il a fait. Arrêter l’alcool, pour finalement perdre la garde entière de sa fille. Ca n’a servi à rien. Le 23 août 2011, sa femme se sert de l’excuse de l’alcool pour faire comprendre au juge qu’il n’est pas apte à prendre en charge Ethel. Il a eu beau démentir, se défendre, les témoignages de son ancien meilleur ami et de la sœur de Kerry ont creusé sa tombe.

« Je n’ai pas besoin d’aide. » Dit-il, à Alois qui prend la mouche : « On dirait Papa. » « S’il te plait Alois. » Répond-il, peu ravi d’entendre cette comparaison qui est abaissante pour lui qui désirait ne pas ressembler à son père. Le reste du trajet se fait dans le silence, même si les paroles de sa frangine restent ancrées dans sa mémoire. Il se souvient de cette nuit où sa mère l’a appelé en pleurs, depuis la salle de bain. Eann était toujours la première personne qu’elle contactait, parce qu’il était le moins égoïste des deux frères et que contrairement à Alois, il avait les épaules pour supporter le bruit des bouteilles brisées sur le sol. Cette nuit a certainement été la plus violente, puisque pour la première fois, il avait été obligé de frapper son père pour le recadrer et éviter le pire. Non, définitivement, Eann n’est pas comme ça.

Trente minutes plus tard et l’homme arrive à l’hôpital, dans cette chambre déjà occupée par Kerry qui se lève en déposant un baiser sur le front de sa fille. « Encore en retard. Tu parles d’un père. » Dit-elle, sèchement, alors qu’Alois lui lance un regard noir. « Je te retourne le compliment ; quelle mère empêcherait son enfant de voir son père. La réponse est droit devant, suis mon regard. » Ne prenant pas part à la querelle, Eann s’approche du lit et adresse un sourire à sa fille qui le prend difficilement dans ses bras, à cause de la fatigue, des médicaments, de son traitement très lourd pour une enfant de 6 ans. Il aura fallu d’une tumeur pour qu’ils aient enfin l’occasion de se voir tous les jours et il n’en est pas soulagé.

Il est 23 heures lorsqu’il arrive dans son restaurant qui était ouvert toute la journée et dans lequel il aime passer un peu de temps, même quelques minutes, dans le but de savoir comment ça s’est passé, mais aussi pour retrouver son deuxième chez lui. « Salut Eann ! » S’exclame son bras droit, Cleary, qui est derrière le comptoir en train de faire le point sur les stocks. « Bonsoir. » Souffle-t-il, en faisant le tour du comptoir pour l’aider. « Où t’en es dans le stock, on manque de quelque chose ? Demain c’est dimanche, j’irai au marché. » Dit-il, sans même attendre de réponse. Clea se stoppe, plante son regard dans le sien, voyant bien que le moral n’est pas au beau fixe. Eann vit une période difficile de sa vie qui se prolonge depuis un an et ça devient de plus en plus compliqué. « Comment va ta fille ? » « Aucune amélioration. » S’il y a bien quelqu’un à qui il peut tout dire, c’est à son acolyte qui ne le juge pas, au contraire. Il le conseille, il est là pour lui faire retrouver le sourire et parfois même il le pousse à faire quelques rencontres. « Ton ex-femme t’a encore pourri la vie ? » « Tu la connais. Elle devient de plus en plus exécrable au fil du temps. » Cleary le savait depuis longtemps et même s’il n’avait pas un très bon avis sur elle, il savait tout de même l’apprécier pour le bonheur qu’elle apportait à Eann. Bonheur éphémère. « Ca, c’est un bon point ! Et la prochaine étape sera de reconstruire une nouvelle histoire avec une nouvelle femme ! » Sourire. Eann, amusé, secoue la tête et lui donne un coup d’épaule pour prendre sa place face au stock. « Enfin, il semblerait que ce soit déjà fait... » « Hm ? Quoi ? Comment ça ? » Surpris, Eann tourne la tête vers son ami, ne voyant pas où il veut en venir. Il n’a personne dans sa vie et n’a fait aucune rencontre depuis son divorce. Les femmes sont pour lui un enfer depuis que Kerry lui a fait des sales coups. Il lui faisait confiance, pensait qu’en quinze ans, il la connaissait sur le bout des doigts pour finalement comprendre que tout ça n’était qu’illusion et qu’elle pouvait être aussi garce que gentille. Non, vraiment, il n’arrive pas à suivre Cleary qui se fait des films. « C’était quoi, ce jeu de mains, avec cette jeune femme ? Sio... Siobhàn ? » Les yeux ronds, Eann n’ose rien dire. Lui qui pensait qu’ils s’étaient fait discrets, on dirait bien que non. « Comment tu- » « J’étais dans la remise et quand je suis revenu dans la salle pour te parler, j’ai capté. Tu ne m’as même pas capté tellement vous étiez dans votre truc ! C’est la première fois depuis longtemps, alors je me suis éclipsé... » Et c’est vrai, Eann était dans un autre monde, dans celui de Siobhàn.

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Flash back

28 août 2012.

« S’il te plait, reçoit la au moins. » Lui demande Cian, en posant sa main sur son bras pour qu’Eann se concentre sur lui. « Je sais que ça va être compliqué avec ce qui s’est passé, mais... » « Oui, ça va l’être. Je connais beaucoup de choses sur ta fiancée, alors qu’elle ignore qui je suis. Le malaise. » En juin 2010, Cian a commencé à discuter avec une femme, Siobhàn, mais maladroit avec les femmes, en amour, il a finalement demandé à son frère de prendre la relève et c’est comme ça qu’il s’est pris au jeu de la conversation Internet, alors qu’il n’est pas très porté sur les rencontres de ce style, préférant que les choses se fassent naturellement. Seulement, Cian, lui, se sert de tout tant qu’il ne reste pas célibataire. Comment ça se fait, il s’en fiche royalement. Tous les moyens sont bons. Il n’empêche qu’au fil du temps, Eann s’est beaucoup attaché à la jeune femme avec qui il prenait plaisir à discuter de choses diverses et variées, jusqu’au jour où il a dû tout arrêter pour laisser la place à Cian qui, il était certain, avait dégoté une femme en or. « Je vais la recevoir. » Dit-il, finalement, roulant des yeux. Il va lui falloir faire attention à ce qu’il dira pour qu’elle ne se doute pas de la supercherie, mais aucun doute qu’elle le remarque, puisqu’elle côtoie Cian depuis longtemps à présent et s’il n’était pas comme elle se l’était imaginée, elle l’aurait remarqué depuis un moment maintenant. Cian affiche un sourire, sort du restaurant et revient rapidement avec Siobhàn qu’il conduit jusqu’au comptoir. « Eann, Siobhàn. Siobhàn, Eann. Je vous laisse tous les deux, j’ai du travail. » Un baiser sur le front de sa fiancée et il s’éclipse. Même pas il lui laisse le temps de se préparer, non, il lui ramène directement la demoiselle. Après un temps de silence, le gérant du restaurant prend la parole pour tenter de la mettre à l’aise : « Bonjour. Cian m’a fait savoir que vous souhaitiez travailler ici... » Lui dit-il, pour avoir une première approche. « Il m’a aussi dit que vous n’aviez pas vraiment d’expériences dans le domaine, mais plutôt dans la comédie, le théâtre. » Cian n’a nul eu le besoin de lui dire tout ça, puisqu’il le savait, mais il arrondi les angles afin de ne pas la perturber. La jeune femme acquiesce, ajoutant que son fiancé pensait que c’était une bonne idée, une occasion pour elle de faire quelque chose, de rebondir. Avec son handicap, il est vrai que ça ne doit pas être très évident de trouver quelque chose, mais elle semble bien motivée. Après quinze minutes à discuter et pendant lesquelles Eann lui explique le rôle qu’il pourrait lui attribuer, une hôtesse d’accueil en quelque sorte, celle qui pourrait mener les clients à leur table, les accueillir, réceptionner les appels, chose qui n’a nullement besoin de la vue, encore faut-il qu’elle apprenne la salle sur le bout des doigts pour ne pas se planter, l’homme sort un contrat tout fait sur lequel il modifie certaines choses pour que le contrat puisse être refait pour la demoiselle, mais s’arrête soudainement lorsqu’il sent la main de Siobhàn se poser sur son visage. « Qu’est-ce que vous- » Commence-t-il, dans un mouvement de recul, alors que ses doigts se rapprochent une nouvelle fois, se plaçant sur son visage, faisant le tour de ses pommettes, ses paupières, sourcils. Son souffle devient plus court en même temps qu’elle fait le tour de son visage, son cœur rate un battement lorsqu’elle s’attarde sur ses lèvres. « De quelle couleur sont vos yeux ? » Demande-t-elle, sans obtenir de réponse. Eann est chamboulé, trop troublé pour répondre dans l’immédiat. Ca fait tellement longtemps qu’il n’a pas eu de contact de ce style avec une femme, un peu plus d’un an, alors forcément, il ne sait pas trop comment agir. Pourtant, il connait les femmes sur le bout des doigts, mais son divorce l’a fait devenir plus distant et la maladie de sa fille a fait qu’il avait d’autres priorités que ses relations.

D’un coup, tout s’arrête. Siobhàn l’éloigne et un grand vide s’empare de lui. Il se retrouve être dans le même état qu’avant qu’elle ne soit face à lui : désemparé, déprimé. Elle lui donne tout pour le reprendre. « Je suis désolée, si cela vous à dérangé. C'est que... C'est la seule façon pour moi de vous voir. Je m'excuse, je ne recommencerais plus. » Impulsivement, Eann saisit sa main et la repose sur son visage. Heureusement qu’il n’y a personne pour les voir, que c’est la fermeture, parce que ce qu’il est en train de faire n’est pas normal. « Non, non... J’étais surpris, mais tu peux continuer. » Un tutoiement pour les rapprocher encore plus, bien qu’il soit involontaire. Il ne s’attendait juste pas à tout ça, c’est tellement soudain, mais aussi agréable et il souhaite en profiter. A son tour, il effleure son visage du bout des doigts d’abord, maladroitement, mais il finit par y prendre goût, reprendre quelques habitudes avec son aide puisqu’elle lui sert de guide. « Ferme les yeux. » Comprenant qu’elle souhaite l’emmener dans son monde, il s’exécute et ferme les yeux, ressentant des sensations fortes, les premières depuis très longtemps.

Rien qu’en y pensant, Eann ne peut empêcher son cœur de battre la chamade. Siobhàn a réussi là où toutes ses rencontres ont échoué. Elle a réussi à déclencher les battements rapides de son cœur, à lui faire retrouver l’illusion d’une meilleure vie, mais tout est compliqué. « Il faut que tu gardes cette histoire pour toi. Je ne tiens pas à faire circuler une rumeur de ce style en sachant qu’il s’agit de la fiancée de mon frère. » La bouche entrouverte, Cleary semble bien déçu de la nouvelle. Non pas par rapport au comportement qu’Eann a eu vis-à-vis de Cian, oh non... « Pour une fois que tu retrouves le sourire, il faut que ce soit avec la fiancée de ton frère, c’est tellement évident ! Tu vas l’embaucher ? » Eann doit la rappeler et s’il n’a pas pris sa décision tout de suite, c’est pour cette raison. Entre eux, c’est particulier, unique, personne ne pourrait comprendre. Il se demande même si elle se sent aussi proche de lui que lui d’elle, mais c’est à en perdre la tête. « C’est probable, oui... » Et lorsqu’elle sera définitivement là, il sent que les choses pourraient être encore plus difficiles à gérer, mais il a promis à Cian de faire un effort. Il le fera.