Tremblotante, je franchis le seuil de mon appartement, récupérant rapidement une valise sous mon armoire, commençant à ranger mes vêtements à l’intérieur, sans faire attention au fait que je suis en train de froisser mes fringues. Si je n’avais pas été si perturbée par l’appel reçu il y a trente minutes de ça, certainement que j’aurais pris mon temps, mais la nouvelle est tombée trop vite, trop brutalement. Je ne m’y attendais pas et la seule chose que j’ai faite, c’est de m’excuser auprès des personnes qui étaient là pour voir ma nouvelle collection et participer à la conception de celle-ci, à la publicité, mais pour le moment, ceci me paraît bien loin… Ce monde de la mode, c’est le mien, mais à l’instant, c’est vrai, il me semble superficiel et peu important face à ce que ma famille endure depuis quelques jours. « Bon sang Earlene, tu es malade ! » M’activant pour ranger mes affaires, j’aperçois mon collègue qui m’a beaucoup soutenu ces derniers mois, mais après être descendu du taxi pour retrouver mon chez moi, j’ai préféré me couper du monde ; pour être plus claire, mon appareil auditif est éteint et aucun son ne me vient aux oreilles, mais je crois comprendre en le voyant bouger les bras comme un psychopathe, qu’il est en train de s’énerver et de m’insulter de tous les noms d’oiseaux, bien que cette dernière chose ne soit pas son genre. Il est choqué pour la moindre insulte en temps général ! Et évidemment que je m’amuse régulièrement à le pousser à bout : c’est fun, c’est moi ! Earlene Cahill, chieuse naturellement. « Tu ne peux donc pas articuler pour me parler ? Je n’ai pas mon appareil auditif ! » « Mets-le ! » S’emporte-t-il, en articulant bien pour que je comprenne. Merci, mais non merci. Excédée, je me retourne face à mes affaires et reprend, n’ayant tout simplement pas l’envie de m’attarder sur son cas, mais dès lors qu’il pose sa main sur mon bras, je prends ça comme une provocation de sa part. « Tu te rends compte de ce que tu viens d’abandonner ?! Et pourquoi, hein ? Un petit appel minable d’un membre de ta famille qui n’a finalement pas besoin de toi ? » Lui lançant un regard noir, c’est sans aucune hésitation que je laisse échapper ma main pour venir la planter sur sa joue. « C’est ma mère de qui tu parles ! » « Parlons-en de ta mère ! Tu la critiques sans arrêt ! » Branchant mon appareil auditif pour mieux l’entendre, furieuse, je suis tout de même ravie de constater que ma main lui a fait un mauvais effet ; il frotte sa joue en pensant certainement atténuer la douleur. « Il n’y a que MOI, tu entends ? Que moi qui ai le droit de la critiquer ! Peu importe ce que je peux dire sur son compte, il est hors de question que tu te permettes de penser du mal d’elle ! C’est une femme géniale ! Et en même temps chiante ! Et lourde avec sa manie de vouloir me caser absolument ! Et qu’est-ce qu’elle m’éneeeeeerveeee ! » Je crains, vraiment. A chaque fois que je parle de ma famille, que ce soit mon frère ou ma mère, il faut toujours que je dérape. Faut dire aussi qu’ils ont tendance à me pousser à bout dès qu’ils ouvrent leurs bouches ! « Tu sais quoi ? Tu n’es qu’un gros crétin qui pense qu’à sa gueule ! Même pas tu t’es dit qu’apprendre que mon frère avait eu un accident et était dans un sale état allait me toucher. Tu penses qu’à toi ! A toi et aux bénéfices que MA créativité peut te faire gagner ! » Parce que c’est bien ce qu’il fait depuis que je suis revenue aux Etats-Unis ! Me soutenir, certes, profiter de mon talent pour gagner du pognon, d’autant plus. Combien je lui ai fait gagner depuis qu’il me connait ? Tellement ! C’est une collaboration qui s’arrête et ça lui fait les pieds, je m’en doute bien, mais il y a plus important ailleurs. Mon frère n’est pas uniquement la raison de tout ça… Greenfields me manque. Même si elle a été la ville où tout a dérapé, c’est ma ville natale… « Calme-toi, enfin ! Tu redeviens hystérique et tu sais très bien que je déteste ça ! Alors tu vas baisser d’un ton, reposer cette valise et rattraper le coup auprès de nos collaborateurs. » Dit-il, d’un ton qui se veut ferme, mais tellement déconcertant. A-t-il au moins entendu ce que j’ai dit sur mon frère ? Blasée, je me tourne vers l’armoire sans dire un mot, continuant de ranger mes affaires à l’intérieur. « Je vais faire le nécessaire. Demain, je suis partie, ne t’en fais donc pas pour moi et pour toutes mes affaires. Tu n’auras pas à te préoccuper de tout ça. » Si Antwan ne veut rien faire pour m’aider, alors je me débrouillerai comme je l’ai toujours fait, ce n’est pas un problème. Enervé et sentant qu’il n’a plus aucun impact sur moi, qu’il ne pourra plus changer ma décision, Antwan part en claquant la porte, chose que je n’entends pas. Me tournant vers la pièce et constatant qu’elle est vide de monde, qu’il n’y a plus que moi, je m’adosse contre le mur et me laisse glisser contre celui-ci. J’ai toujours pris mes décisions sur un coup de tête, sur le coup de mon impulsivité légendaire, mon instinct. Je sais que je ne fais pas une erreur, d’autant plus que mes amis me manquent. Louisianna. Noreen. Neal. Eadoin.

Eadoin… Une relation bien particulière, mais qui dure depuis des années maintenant. Il paraît qu’il a eu quelqu’un, d’après Neal, mais qu’il l'a largué au bout de quelques semaines avant de me contacter, comme il le fait une fois tous les deux mois pour me dire qu’il a une pensée pour moi, que je lui manque, tout ce baratin dans lequel je retombe à chaque fois. Mes amis ne comprennent pas pourquoi je continue d’espérer quelque chose, pourquoi je montre un quelconque intérêt, alors qu’il se comporte comme un vrai crétin, me défendant toujours de toutes les erreurs que j’ai pu faire avec lui, alors que j’en ai fait…

Citation :

1er avril 2003, Greenfields

Eadoin a écrit:

J’ai envie de toi, où t’es ?

Message de merde. Je souffle un coup, détournant mon regard de mon téléphone, mais au bout de deux secondes même pas, je me surprends à tapoter sur les touches du portable. Je déteste être faible comme ça, mais même quand il m’appelle uniquement pour qu’on couche ensemble, je ne peux m’empêcher de lui répondre.

Earlene a écrit:

Ca fait un mois qu’on ne s’est pas parlé et tu m’envoies l’un de tes messages pourris ! Va voir ailleurs, une nenette voudra sans doute bien ouvrir les cuisses sans hésitation.

Et comme à chaque fois, c’est une réponse désagréable. C’est comme ça entre nous, une relation atypique, forte, qui ne me laisse pas de marbre, ce pourquoi je m’agace si facilement. Eadoin a un pouvoir sur moi que personne d’autre n’a. Ca fait quand même 5 ans que ça dure… Et jusque là, on a toujours été incapable de se dire ce que l’on ressentait réellement l’un pour l’autre, bien que pour moi, c’est sûr, je ne suis qu’un amusement de plus à ses yeux.

Eadoin a écrit:

T’as envie de les ouvrir, toi aussi, fais pas ta vierge effarouchée ! Ca fait un mois qu’on ne s’est pas vu, ça commence à me peser.

Riant jaune, je lâche mon portable sur mon sac de voyage, bien décidée à ne pas répondre à ses messages presque insultants. Il a juste envie de se vider les couilles et après ? Je le connais bien, Eadoin est du genre à faire silence radio ! Et quand ce n’est pas son genre, c’est le mien, histoire de lui faire comprendre que je n’ai pas apprécié son attitude de crétin fini, bien que… Ca ne dure jamais longtemps.

Eadoin a écrit:

Sérieux, t’es où ? Ta mère m’a dit que tu partais d’Irlande, la blague !

Ca veut dire quoi, ça ? Que je ne suis pas capable de m’échapper de mon pays ? Certes, c’est un endroit que j’adule, pour lequel je me bats. Je défends ses honneurs à chaque fois que l’on ose critiquer les paysages irlandais, mais de là à prétendre que je ne suis pas apte à quitter le pays… Du moins, c’est comme ça que je le prends. Eadoin peut bien dire ce qu’il veut, de la manière qu’il veut, j’ai toujours cette foutue tendance à mal interpréter ce qu’il me dit.

Earlene a écrit:

A la gare, je pars d’Irlande ! C’est pas une blague !

Il ne lui en faut pas plus pour composer mon numéro et m’appeler. Comprenant qu’il faut que je branche mon appareil auditif, je me mets à râler, ne supportant pas de mettre cette petite chose pour entendre le bruit autour. Pourtant, j’ai envie d’entendre ! Mais de manière naturelle, pas avec cette fichue technologie ! « Tu sais que je déteste ça, de mettre mon appareil ! Tu le sais et tu m’appelles ! » « Oh, arrête de râler, bébé ! » « Earlene. » Je ne sais pas pour quelle raison il me donne ce surnom affectif, mais en tout cas, je déteste ça. Nous ne sommes pas en couple, à ce que j’en sais ?! « C’est une blague ? Tu ne pars pas sérieusement ? Et depuis quand tu décides de partir sans même m’avertir ? » De très loin, j’entends une porte qui se referme brutalement et j’imagine déjà Eadoin en train de faire les cent pas à l’extérieur de chez lui pour s’énerver sans déranger ses voisins. « Depuis quand je dois te prévenir de ce que je fais ? On n’est pas marié à ce que je sache ! » « T’aurais quand même pu me prévenir ! » « Oh, je t’en prie. Tu n’en as rien à foutre de me savoir en Irlande ou ailleurs, tout ce qui t’intéresse, c’est de te taper la petite coincée du lycée. » « Tu dis vraiment n’importe quoi ! C’est toujours pareil avec toi ; tu ne sais jamais de quoi tu parles. Tu t’imagines que je suis le connard de base qui souhaite seulement se vider ! » « Parce que ce n’est pas ce que tu fais ? Tu viens toujours me chercher pour la même chose, mais il ne t’est pas arrivé une seule fois de te dire que j’en avais assez de seulement… » De seulement être la petite aventure de passage. Seulement, je suis bien trop fière pour le dire. « De seulement quoi ? » « Je ne veux pas m’expliquer avec toi par téléphone et j’ai mon train qui ne va pas tarder à arriver. A plus tard. » Dis-je, dans un souffle, alors que mon cœur se brise en même temps que je raccroche le téléphone. Je déteste me sentir aussi vulnérable, comme ça, mais à force de l’avoir côtoyé, c’est évident qu’il ne me laisse pas indifférente. Et puis, de toute façon, quand bien même il souhaiterait tenter, je ne pense pas me sentir prête pour ça ; je suis sourde. C’est chiant d’être avec une sourde !

Après dix minutes, j’aperçois enfin le numéro de ma voie. Prenant mes valises, je me dirige vers celle-ci, le cœur lourd, osant à peine regarder derrière moi. Et c’est avec l’aide d’un agent de la compagnie que j’arrive à tout placer dans le train. « Earlene ! Cahill, putain, sors tout de suite de ce train ! » Entendant mon prénom une deuxième fois, je sors ma tête de la voiture du train, apercevant Eadoin qui court comme un dératé jusqu’à moi. OK, c’est quoi le piège ? Ce n’est définitivement pas mon genre de me retrouver dans l’un de ces films à l’eau de rose ! Et pourtant, lorsqu’il prend ma main dans la sienne, place l’autre sur mon visage, j’ai l’impression de me retrouver dans l’un d’eux. « J’ai eu du bol que tu aies ton appareil. » « Oh ça oui. Qu’est-ce que tu fais ici, enfin ? » « J’ai besoin de savoir ce que tu comptais me dire ! On n’est plus au téléphone, là ! » « Mademoiselle ? » Tournant la tête vers un agent, j’acquiesce d’un signe de la tête, ayant compris le message. « J’ai pas le temps, là. On en rediscutera plus tard. » « Et c’est quand, plus tard ? Quand tu seras partie je-ne-sais-où ? Descends. » Secouant la tête, je fais un pas à reculons, sentant que j’aurais d’autant plus de difficultés à partir s’il reste près de moi, mais il fait un pas, réduisant l’écart, en montant sur la marche du train. Je sens ses doigts se placer sur ma nuque, son souffle caresser ma peau, ses lèvres se poser sur les miennes et c’en est trop. Doucement, les larmes me montant aux yeux, je le repousse, alors que l’agent me demande de faire rapidement un choix ; partir ou rester, mais faire un choix maintenant. « Reste. » « Désolée. » Souffle-je, en coupant mon appareil auditif, me tournant pour prendre place sur un siège, dans le couloir du train, alors que, bouleverser par l’instant fort qu’on vient de partager, je m’effondre littéralement.

C’est certainement la pire connerie que j’ai faite. Me barrer alors qu’il me faisait une sorte de déclaration à la Eadoin Hill. A mon arrivée aux Etats-Unis, avec des regrets, j’ai fini par l’appeler et je me suis pris un vent phénoménal. Remarque, je le méritais, je l’ai quand même lâché sur le quai de la gare, alors qu’il était là pour me retenir… Mais quand on connait Earlene Cahill, on sait très bien qu’il ne s’agit jamais d’histoire à l’eau de rose et que c’est toujours compliqué. Je me sens comme Blair dans « Gossip Girl », avec Chuck, ou la fille dans « Jeux d’enfants », je ne sais même plus son nom déjà, mais c’est le même style ! J’ai pas envie d’une vie qui se termine dans un trou avec du ciment me recouvrant ! Me connaissant, je suis même certaine que je serai toute seule dans ce fichu trou !

Citation :

3 avril 2003, New York, Etats-Unis

Ce bip infernal qui n’en finit pas… Et Eadoin doit me faire la gueule, c’est sûr. Avec le lapin que je lui ai posé, ce serait normal, mais je ne peux me résigner à ce que tout se termine comme ça, alors, culpabilisant, marchant du bout de la chambre de mon hôtel à l’autre bout, j’attends. J’attends jusqu’à ce qu’il réponde enfin. « Tu peux pas arrêter deux secondes de me sonner ? » « Eadoin, je- » Je suis désolée. « Je baise ! » Outch. Entendant le cri de plaisir de la jeune femme qui lui demande finalement qui c’est, je m’empresse de raccrocher.

Cela dit… Moi qui pensais que notre relation allait se finir comme ça, je me suis bien trompée en me rendant compte qu’Earlene sans Eadoin et qu’Eadoin sans Earlene, ce n’était juste pas possible. Il me l’a prouvé, encore une fois, en venant me rejoindre aux Etats-Unis le temps d’une seule soirée, d’une seule nuit… C’était quelques mois après notre dernier appel, en juin 2003. Jusque là, aucune nouvelle de lui et j’avais bien trop été blessé dans mon orgueil en l’entendant coucher avec cette femme qui jouissait sans aucune discrétion pour le rappeler.

Citation :

15 juin 2003, New York, Etats-Unis

15 jours se sont écoulés depuis mon opération qui aurait dû fonctionner. Qui aurait dû. Oui, parce qu’elle n’a clairement pas été à la hauteur de mes attentes. Recroquevillée sur moi-même, restant dans la pénombre de mon appartement, je n’arrive toujours pas à passer au-dessus de cette nouvelle : je ne pourrais plus jamais entendre comme avant. L’opération est un échec, l’espoir n’est plus. J’aurais pu retourner chez moi en Irlande, mais par honte, l’idée m’effleure l’esprit pour mieux repartir. J’ai honte d’avoir perdu mon temps à croire en une chose surréaliste, d’avoir foutu en l’air la seule histoire qui me tenait en vie ; malgré que ce soit étrange, qu’il y ait toujours des disputes, c’est justement ça que j’adore. Suis-je un peu sado maso d’apprécier qu’il me pousse à bout ? Suis-je tarée de me sentir vivante que lorsqu’il me blesse ? Pourtant c’est bien la vérité…

La tête enfouit au creux des mes bras, les jambes ramenées contre ma poitrine, je dois ressembler à rien. Pire encore dans cette tenue minable, ce pyjama trop grand, qui ne me met pas du tout en valeur, mais j’ai toujours dit que les vieux pyjamas étaient les meilleurs. Doucement, je sens une main se poser sur ma chevelure et prenant peur, je me colle contre le mur, comme si je pouvais encore reculer, la bouche entrouverte, le souffle court, alors que mon regard se pose sur « lui ». Les sourcils froncés, je lui donne un gros coup de poing qui ne doit pas lui faire grand-chose avec ma faible force. J’aurais pu me jeter dans ses bras, mais la seule chose que je trouve à faire, c’est de lui cracher mon venin. « Tu aurais pu me prévenir que tu venais ! Et tu m’as foutu la trouille de ma vie ! Puis d’abord, comment tu sais mon adresse ? Avec le prix que le trajet as dû te coûter et le prix des putes que tu te paies, je me demande bien comment t’as fait pour venir ! » « Tu ne pouvais pas te contenter de me dire que t’étais contente de me voir ? Avec le coup que tu m’as fait en mars, j’aurais pu m’abstenir ! » « Oui, tu aurais pu ! Tu aurais dû, surtout ! Je veux pas te voir ! » Rhaaa, la bouleeeeetteeeeee putaaiiiiiinnn. Sentant la panique prendre sur moi, je pose rapidement ma main sur son bras et secoue la tête. « C’est faux, c’est faux. Désolée, pardon. Je suis désolée. » Dis-je, en déposant mes lèvres sur les siennes, lui assenant de milliers de baisers, ne lui laissant pas le temps de parler. « Cela dit, t’as vraiment été con la dernière fois ! » « Parce que toi t’as pas été conne, peut-être ? » Oui, bon. « Non. » Pas du tout. « Si. » « Non ! » « Rha, qu’est-ce que tu peux me saouleeeer ! » Je devine qu’il s’emporte en voyant ses dents se serrer, mais le ton de sa voix ne me parvient pas aux oreilles ; inutile, mon appareil est débranché. Sans plus d’hésitation, Eadoin me soulève et j’enroule mes jambes autour de lui, retirant les boutons de sa chemise pendant qu’il me retire mon haut de pyjama, se permettant une remarque : « C’est moche ! » « Mais je t’emmerde ! » Un sourire se glisse sur son visage, alors qu’il mord ma lèvre inférieure, me poussant contre la porte de ma chambre.

Cette nuit-là, on a dû faire l’amour ensemble deux ou trois fois dans la nuit. Il m’avait confié que s’il était là, c’était parce que sa mère s’en faisait à mon sujet, étant donné qu’elle n’avait plus aucune nouvelle. Impossible de savoir s’il était inquiet pour moi, il ne m’en a pas parlé et trop fière, encore une fois, je n’ai pas voulu lui poser la question. On a passé le lendemain ensemble, je lui ai fait découvrir New York et au réveil suivant, il n’était plus là, certainement parce que je recommençais à reprendre du poil de la bête.

••••••••••
Tête appuyée contre le hublot de l’avion, j’observe ce pays dans lequel j’ai vécu plusieurs années, là où j’ai rencontré des personnes géniales. Louisianna, ma meilleure amie, en fait partie. Même si nous avons six ans d’écart, toutes les deux, on se comprend d’un seul regard. De savoir qu’elle a perdu la mémoire et qu’elle ne se souvient pas des derniers instants vécus ensemble est terrible, mais de savoir que je suis toujours quelque part dans sa tête, c’est un véritable soulagement. Et puis, il y a eu aussi toute l’expérience que j’ai acquise… Que ce soit ici ou en Australie, au fil des années, j’ai pu prendre sur moi, devenir plus confiante, gagner de l’assurance et enrichir mon sale caractère ; si à mes 20 ans, il me suffisait d’un rien pour m’effondrer, à présent, il est très rare que je verse quelques larmes. J’ai mis du temps à construire ce que je suis, la femme forte et ce n’est pas un retour aux sources qui va me faire changer… Même s’il est clair que j’appréhende d’être face à mon frère. Depuis l’accident de mes 17 ans, je ne lui ai pas une seule fois adressé la parole pour lui dire des gentillesses. A mes 20 ans, j’ai même coupé totalement les ponts avec lui, le tenant responsable de ma surdité. Etant gosse, j’entendais déjà très mal, mais j’entendais tout de même. Suite à cet accident, il m’était dorénavant impossible de vivre normalement. J’ai dû abandonner des projets, apprendre à lire sur les lèvres, signer, changer mon mode de vie quoi. Autant dire que m’en souvenir m’est encore difficile… Je déteste ce passage de ma vie où tout a changé et pourtant, il y a bien une chose qui n’a pas changé ; le regard de mes plus proches amis. Si ce n’est le fait d’avoir dû faire avec une Earlene vachement plus agressive et déterminée !

Une nouvelle page commence ici…

Evolution :

Trois mois en ville, déjà. Trois mois où Earlene a pu reprendre ses marques et même si la ville est déserte, elle est bien décidée à rester dans ce petit coin de la ville, bien vivant, à se faire une vie dans ce petit endroit convivial, pour le plus grand plaisir de sa maman qui peut garder un oeil sur elle et sur les hommes qu'elle fréquente. Qu'on se le dise, Earlene n'est pas prête à se stabiliser, tenant plus que tout à son indépendance. Du moins, ça c'est la raison officielle... La vraie raison est qu'elle est toujours amoureuse d'Eadoin. Quant à son agence, elle est bien implantée à Greenfields ; sa petite boutique de vêtements et son agence de stylisme, moins grande qu'avant, mais plus familiale, sont des endroits dans lesquels elle passe la plupart de son temps.